Article "Le Temps" du 2 juillet 2020
02.07.2020
Retranscription de l'article de Servan Peca, paru dans Le Temps, dans son édition du 2 juillet 2020.
Ce n’est pas tout de commercialiser des appartements, de les vendre, de les louer… bref, de séduire des résidents potentiels. D’abord, il faut parvenir à les construire.
Ce qui apparaît comme une évidence n’est, dans les faits, pas toujours aussi simple. Et l’on ne parle pas ici de fondations, de coffrages, de murs, de toitures ou d’échafaudages. Mais bien de méandres administratifs et politiques.
La stratégie de communication, mais en amont d’une réalisation. C’est ce que propose depuis ce printemps Voximo, une nouvelle société, sœur de l’agence de communication Voxia. «On s’occupe de la pré-urbanisation, lance Alexis Delmege, associé-gérant et cofondateur, avec Eve Lozeron-Gentile. Mais je crois que je viens d’inventer ce mot!», rigole-t-il.
C’est pourtant bien de cela qu’il s’agit. Prenons l’exemple de Genève et de sa dense législation urbanistique et immobilière. Avant même de pouvoir espérer toute autorisation de construire à l’échelle d’un quartier, un promoteur ou une collectivité publique doit d’abord faire approuver un plan localisé de quartier, le PLQ. Un plan d’affectation dans lequel il s’agit de présenter et de débattre d’enjeux aussi variés que le périmètre d’implantation, les voies de communication, les espaces libres et verts, les terrains réservés aux équipements publics, la végétation à créer, les places de parc ou encore les conduites d’eau et d’énergie.
Concertation et adhésion
Ensuite, et ceci pour tous les projets immobiliers, vient l’étape du dépôt de l’autorisation de construire, sujette à oppositions. «Il existe beaucoup de moyens de recours ou d’opposition, raconte Alexis Delmege. Pour un développeur, ce risque est important.» D’où l’intérêt, à la fin de la phase de conception d’un projet, de mener rapidement une concertation avec toutes les parties prenantes – les promoteurs, les architectes, les autorités, les futurs habitants, les usagers, les voisins, les associations. «Cela permet de les intégrer très en amont de la livraison du projet.»
Adhésion. Ce besoin d’anticiper les écueils, Alexis Delmege l’a identifié alors qu’il était à la fois communicant et secrétaire général de l’Association de l’économie immobilière (SVIT Romandie), de 2015 à 2019. «J’aime bien faire le parallèle avec un divorce: lorsque l’on cherche un avocat, on va s’orienter vers un spécialiste de la question. C’est ce manque-là que l’on a voulu combler en proposant ce service.»
Un savoir-faire qui n’est toutefois pas inédit, signale Christophe Aumenier. Le secrétaire général de la Chambre genevoise immobilière indique en effet qu’au sein de son organisation, mais aussi au sein de diverses agences plus ou moins spécialisées, ce type de prestations existe de longue date. «Ce qui est nouveau, en revanche, c’est que quelqu’un souhaite le faire savoir.» Un signe, selon lui, que «dans ce domaine, comme dans d’autres d’ailleurs, le milieu immobilier s’est beaucoup professionnalisé au cours des dernières années».
«Bien sûr qu’il faut s’y connaître, confirme un investisseur immobilier, actif à Genève et dans le canton de Vaud, qui ne souhaite pas être reconnu. Et bien sûr que si l’on n’a pas les compétences à l’interne, il faut s’entourer de personnes qui savent comment procéder. Sans cela, il faut des années pour faire aboutir un projet.» Lui ne délègue pas cette part du travail à des externes. Il utilise ses réseaux, son entourage et, à force, son expérience. «C’est un travail de l’ombre, mais il exige de vrais efforts et compétences.»
Savoir se taire
Pour l’heure, les sept collaborateurs de Voximo gèrent une poignée de mandats dans ce domaine, en plus des missions plus traditionnelles de branding ou de marketing. Pour des raisons contractuelles, Alexis Delmege n’est pas autorisé à donner les noms des projets concernés. Notamment parce qu’il s’agit, pendant un certain temps au moins, de faire profil bas. «A la différence des activités plus traditionnelles de communication immobilière, il faut parfois savoir se taire.»
De la discrétion, de la stratégie, de l’anticipation, du réseautage… Du lobbying, en quelque sorte? «C’est un mot que je n’aime pas. Il a une connotation négative, coupe Alexis Delmege. Nous ne faisons pas de politique. Il s’agit davantage d’affaires publiques. Il faut comprendre les enjeux et identifier les personnes ou les entités clés pour leur présenter les faits. Et valoriser les avantages d’un projet, afin de modérer les réactions épidermiques, par exemple, sur des enjeux écologiques ou patrimoniaux.»
Pour ces raisons ou pour d’autres, plusieurs grands projets ont été entravés par des oppositions et/ou des votations populaires. Sur son site internet, l’agence a même dressé une liste: le Pré-du-Stand, Cointrin-Est et Cointrin-Ouest, pour Genève. Dans le canton de Vaud, il y a par exemple le cas très médiatisé du centre de congrès 2m2c de Montreux.
Mais Genève, encore une fois, est un cas particulier. Dans un canton au territoire exigu et où le taux de vacance ne dépasse pas 0,6%, presque trois fois inférieur à la moyenne suisse, le mot «densification» continue pourtant à rebuter. Ce qui fait dire à Alexis Delmege que de grands investisseurs ou développeurs, peu au fait des particularités locales, et qui seraient tentés de passer en force risquent de déchanter.
«Souvent, ils se renseignent, informellement, sur des projets qui ont abouti, témoigne Christophe Aumenier. Sur le temps que sa construction a nécessité, sur ce qui a convaincu, séduit, ou bien fonctionné.» Mais aussi, évidemment, sur son taux de remplissage. «Beaucoup d’opérateurs situés en dehors de Genève pensent, naïvement à mon avis, que la pénurie de logements favorise l’acceptation de nouvelles constructions. Alors qu’en réalité, c’est là que le travail commence.»